CCPR/C/130/D/2580/2015
Rappel des faits présentés par l’auteur
2.1 L’auteur affirme qu’à l’instar de nombreuses villes et campagnes algériennes, la
wilaya de Jijel a connu des violations systématiques et massives des droits de l’homme. Jijel
est une région montagneuse située à l’est du pays. Au cours des années 1990, des milliers de
personnes ont été victimes d’exécutions sommaires, d’arrestations arbitraires et de
disparitions forcées. Durant les années du conflit, un climat de terreur généralisée régnait
dans cette région isolée, où se trouvait une forte présence militaire. Cela explique qu’en dépit
du grand nombre d’exécutions sommaires qui y ont été commises, très peu de cas ont été
signalés : la crainte de représailles par les autorités empêchait les familles d’entreprendre des
démarches pour retrouver leurs proches disparus.
2.2 Fateh Dafar travaillait à la Recette des contributions diverses d’El Aouana, affiliée à
la Direction des impôts de la wilaya de Jijel. Selon les témoignages rapportés par sa famille
et ses collègues − confirmés par une attestation du Directeur des impôts de la wilaya de Jijel
en date du 6 mars 1995 −, il a été arrêté sur son lieu de travail le 26 novembre 1994 par deux
agents des services de sécurité. Il a ensuite été emmené au siège de la brigade locale de
gendarmerie nationale d’El Aouana, commandée par le capitaine B., où il a été détenu
pendant soixante-dix jours − du 26 novembre 1994 au 3 février 1995 − sans être déféré
devant une autorité judiciaire compétente et sans que sa famille soit informée des raisons de
son arrestation et du lieu de sa détention. Tout au long de cette période de détention au secret,
Fateh Dafar a subi des actes de torture.
2.3 Le 7 décembre 1994, l’auteur a envoyé un courrier au commandant du secteur
militaire de la wilaya de Jijel1, pour lui faire part de son inquiétude liée à l’absence
d’informations sur le sort de son fils et solliciter son intervention auprès des services de
gendarmerie pour en obtenir. Cette démarche est restée vaine.
2.4 Le 3 février 1995 vers 22 heures, en représailles d’un attentat commis par un groupe
armé d’opposition à El Aouana, le capitaine B. et les gendarmes (darkis) sous ses ordres ont
emmené Fateh Dafar ainsi que six autres détenus du siège de leur brigade à la plage de
Chalate, à El Aouana. Le déplacement des détenus s’est effectué a u vu et au su de nombreux
habitants de la commune. Plusieurs personnes présentes à proximité de la plage cette nuit-là
ont assisté à l’exécution sommaire des sept détenus par le capitaine B. et les gendarmes
l’accompagnant, qui ont abandonné les corps sur place.
2.5 Le matin du 4 février 1995, des agents de la protection civile et des pompiers sont
arrivés sur les lieux pour récupérer les dépouilles sous la surveillance de gendarmes. Ils les
ont ensuite transportées à la morgue de l’hôpital de Jijel. Alertés par certains témoins de la
scène, le même matin, plusieurs membres de la famille de Fateh Dafar, dont l’auteur, se sont
rendus à la morgue avec les familles de trois autres des détenus afin d’identifier leurs enfants.
Le docteur T. A. du secteur sanitaire de Jijel a rédigé un constat de décès concernant une
seule des sept victimes, à la demande du père de celle-ci. Ce certificat, daté du 4 février 1995,
atteste du décès violent de cette personne dont la boîte crânienne était « complètement
défoncée » et qui présentait une plaie par balle au niveau du thorax2. Étant donné que le fils
de l’auteur a été exécuté en même temps, ce constat peut lui être appliqué par analogie.
2.6 Les familles des quatre victimes identifiées se sont ensuite rendues ensemble au
tribunal de Jijel pour saisir le Procureur de la République et exiger l’ouverture d’une enquête.
Le Procureur a toutefois refusé, « considérant qu’il n’était pas utile pour l’établissement de
la vérité de reporter l’inhumation des dépouilles ». Il a donc délivré un permis d’inhumation
de Fateh Dafar le 7 février 1995 3, soit quatre jours après son exécution, sans ordonner
d’autopsie, et sans ouvrir d’enquête pénale, en violation de la loi algérienne qui l’y oblige en
cas d’homicide. Le même jour, le chef de la sûreté de police de la wilaya de Jijel a rédigé un
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Pièce jointe au dossier.
Certificat joint au dossier. Ce constat de décès a fait l’objet d’une notification délivrée au Président de
l’assemblée populaire communale d’El Aouana. Ce dernier, confronté à de tels crimes et supposé être
garant de l’ordre public, n’a cependant pas saisi les services de police, comme son mandat l’exigeait
pourtant.
Pièce jointe au dossier.