6 février 2020
JOURNAL OFFICIEL DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
Texte 110 sur 148
Contrôleur général des lieux de privation de liberté
Avis du 12 décembre 2019 relatif à l’accès à internet
dans les lieux de privation de liberté
NOR : CPLX2003262V
Notre société a fait du numérique un outil indispensable de l’accès au savoir et a imposé l’utilisation d’internet
pour la réalisation de nombreuses démarches. Ce vecteur essentiel d’autonomisation et de communication ne peut
être ignoré par ceux qui ont autorité sur le fonctionnement et l’organisation des lieux de privation de liberté.
Dans le contexte de la dématérialisation de l’intégralité des services publics à l’horizon 2022 initiée par la
France, l’accès à internet, la formation de la population enfermée à ses usages et son accompagnement dans son
utilisation doivent être considérés comme prioritaires, afin de ne pas priver cette population de l’exercice effectif de
ses droits.
En effet, l’exercice de nombreux droits et libertés fondamentaux est aujourd’hui entravé par l’insuffisante prise
en compte de la nécessité de garantir au citoyen enfermé un accès aux technologies numériques et à internet. Parmi
les plus emblématiques figurent la liberté d’expression, protégée par les articles 10 de la Convention européenne
des droits de l’homme et 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et considérée par le Conseil
constitutionnel comme impliquant la liberté d’accéder aux « services de communication au public en ligne » (1), le
droit à l’instruction, sur le fondement duquel la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a récemment
condamné la Turquie (2), mais également le droit d’une personne détenue à la préparation de son retour au sein de
la société, garanti par l’article 2 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 (3).
Si la jurisprudence de la CEDH n’a pas, à ce jour, consacré de droit fondamental à un accès à internet,
notamment par les décisions qu’elle a prises concernant les établissements pénitentiaires (4), il n’en demeure pas
moins qu’internet est devenu, au fil du temps et de manière particulièrement sensible dans les lieux de privation de
liberté, une modalité incontournable de l’exercice effectif de nombreux droits fondamentaux.
La privation de liberté, au sens de l’article 5§1 de la Convention européenne des droits de l’homme (5), implique
pour une personne d’être captive dans un certain espace restreint pendant une durée fixée par une autorité judiciaire
ou administrative. La mesure privative de liberté peut entraîner la restriction de certains droits dans la mesure où
l’ingérence ou la limitation de ces droits est prévue par la loi et « est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté
publique, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la
morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui » (6). Les atteintes aux droits justifiées par les impératifs de
sécurité et d’ordre public ne peuvent cependant être illimitées, et il incombe à l’administration de rechercher un
juste équilibre entre les objectifs d’ordre public poursuivis et le respect des droits des personnes privées de liberté
qui, si elles ne disposent pas de la liberté d’aller-et-venir pour faire personnellement valoir leurs droits, ont
vocation à retrouver leur liberté de mouvement et de circulation à brève ou longue échéance.
Les enjeux liés à l’accès à internet dans les lieux de privation de liberté sont multiples, tant pour l’accès à
l’information et à la formation et le maintien des liens avec l’extérieur que pour la préparation à la sortie et la
réinsertion. Si aucune base légale ne permet de priver les personnes enfermées de tout accès à internet, le
CGLPL constate néanmoins que, selon les lieux de privation de liberté concernés et leurs spécificités,
notamment au regard du public qu��ils accueillent, les modalités d’accès sont diverses et les limitations
fréquentes. Par ailleurs, si cet accès doit être favorisé, il convient de prêter une attention particulière à
l’accompagnement humain, à la lutte contre l’isolement et au respect de la vie privée numérique des
personnes privées de liberté.
1. Un accès à internet indispensable au respect des droits et libertés fondamentaux
L’impact de la transition vers une société numérique sur les droits des personnes privées de liberté pour
lesquelles aucun accès à internet n’a été aménagé est régulièrement relevé par le CGLPL. En témoigne cet extrait
d’une réponse aux vérifications effectuées par le CGLPL auprès de l’autorité concernée quant aux difficultés
rencontrées par une personne détenue pour renouveler son permis de conduire, égaré par l’administration lors d’un
transfert : « [Le permis de conduire de M. X.] a été refait aux frais de l’administration pénitentiaire mais une erreur
a été commise dans l’orthographe du nom de famille. Dès lors, de multiples démarches ont été entamées auprès de
la préfecture […]. Or, la préfecture a indiqué qu’il n’était pas possible d’effectuer cette démarche au guichet […]
M. X a alors été informé que les démarches entreprises au sujet de son permis de conduire devaient s’effectuer en
ligne. Cela ne pouvant se faire depuis la détention, M. X a été destinataire, pour information, d’une copie des
données du site internet « www.service-public.fr » relatives aux démarches à suivre […] ». Il a finalement pu
autoriser son visiteur de prison à accomplir en son nom les démarches nécessaires au renouvellement de son permis
de conduire.
De la situation de dépendance des personnes privées de liberté vis-à-vis des autorités administratives auxquelles
elles sont confiées résulte, pour les secondes, l’obligation d’organiser, au bénéfice des premières, les modalités
d’exercice de leurs droits. Certaines démarches sont rendues laborieuses, voire impossibles, du fait de l’absence
d’accès des personnes concernées aux services en ligne, et notamment à l’information qui y est disponible. La